Nouvelle série de textes ayant pour thème « la boite de nuit »
Les mots à caser : riff – paillettes – géranium – mitose
Et avec un mot comme « mitose », c’est une véritable explosion neuronale pour trouver une phrase à peu près cohérente… Merci donc à… oui tu te reconnaitras toute seule !
APPEL ANONYME
Par David
Alors qu’il se démenait comme un diable sur sa guitare pour arriver à jouer le riff de thunderstruck des Australiens d’AC/DC, il savait que le délai afin de rejoindre la boite de nuit et préparer son matériel se réduisait de manière drastique. Encore quinze bonnes minutes à gratter les cordes et il faudrait y aller sans tarder. Une fois l’échéance arrivée, Jack fila fouiller dans sa garde-robe. La recherche de ce qu’il allait mettre pour faire bonne figure sur la scène où il devait jouer était toujours un moment crucial et stressant. Mais comme à son habitude, l’incertitude lui fit perdre pied, et il se retrouva noyé sous une montagne de vêtements, faisant voler ceux-ci à travers son dressing. On aurait dit une mitose vestimentaire à voir ce foisonnement de chemises, pantalons, t-shirts, et vestes pailletées, qui se multipliaient à grande vitesse tant sur les meubles que sur le sol.
Trente minutes plus tard, 23 heures sonnaient, le rendant alors terriblement nerveux. Le retard accumulé désordonnait toutes ses actions. Sur le pas de la porte, prenant juste le temps d’éteindre la lumière, le téléphone se mit à résonner dans son entrée. Les nerfs à crans, il décrocha malgré tout en faisant tomber à terre un pot de géraniums, mais seul un souffle était audible ; rien d’autre. Une espèce de râle comme on entend dans ces films d’horreur du genre Résident Evil. Surement un gosse qui échappait à la surveillance de ses parents et qui composait des numéros au hasard pour ce genre de jeu débile. Sans attendre plus longuement, il posa brusquement le combiné sur son socle et s’empressa de descendre quatre à quatre les marches afin de rejoindre sa voiture. Sa Télécaster en bandoulière, il la coucha délicatement sur le siège arrière pour éviter les chocs et les secousses de la route.
Jack arriva à la boite de nuit Le Palace à minuit pile, se garant en double file dans ce dédale de rues où il était impossible de trouver une place de parking. Il se sentait étrangement dérangé, inquiété par cet appel anonyme, lui qui n’en recevait jamais. La sensation de malaise gagnait en ampleur au fil du temps. Ridicule, se dit-il ! Ce n’était qu’un détraqué qui avait besoin d’effrayer autrui pour avoir l’impression d’exister. Bah, monter sur scène et faire son show lui ferait rapidement oublier ce désagrément.
Le vigile à l’entrée de la discothèque le laissa passer sans le moindre problème. Ils se connaissaient depuis des années et passaient beaucoup de temps ensemble, avec leur amie commune Tarja. Jack serra la main de Glen et ils se promirent d’aller boire un verre, ou plutôt prendre un petit déjeuner, en sortant de boite. Ils envisageaient même de faire une blague à Tarja en allant lui rendre visite aux aurores, avec croissants et pains au chocolat bien entendu. Mais ça, ce n’était pas prévu avant au moins six ou sept heures. Ils imaginaient, en riant, sa tête déconfite, les cheveux en friche, la moue boudeuse et le caractère grinçant d’être levée si tôt. C’est qu’elle n’était pas commode la Tarja au lever ; mais c’était tellement bon quand on était au moins deux pour l’affronter dans ces situations !
Néanmoins, il était temps de se concentrer sur ce qu’il allait plus ou moins improviser ce soir. Le deejay avec qui il jouait régulièrement était déjà à ses platines, le casque vissé sur les oreilles, en train de s’amuser avec ses vinyles des eighties. Jack adorait cet exercice où il pouvait laisser libre court à son imagination, tout en se basant sur ce que son acolyte décidait de mixer. Certains soirs il avait besoin de quelques minutes pour trouver l’inspiration, et à d’autres moments ses doigts filaient sur les cordes, comme si un magicien lui avait jeté un sort, sans se poser la moindre question. Ces instants-là étaient magiques, envoutants.
La prestation dura pas loin de quatre heures, au terme desquelles il était épuisé, tant physiquement que psychiquement. De plus il n’avait pu sortir de sa tête cet appel qui avait fini par se graver en lui. Jack n’avait pas de téléphone portable. Il ne supportait pas ces gadgets révolutionnaires qui donnaient la possibilité de vous joindre en permanence. Et avec les ondes véhiculées par ces appareils, c’était un coup à se ramasser un cancer du cerveau ou de se voir pousser une nouvelle tête !
Il était cinq heures du matin lorsque Glen fit son apparition dans la boite, le mobile à la main, agitant les bras frénétiquement. Jack vit qu’il avait l’air particulièrement inquiet et nerveux. Son cœur se mit à battre la chamade. Un vent de panique commençait à souffler en voyant la mine déconfite de son ami. Glen peinait à se frayer un passage parmi les habitués qui se trémoussaient. Il se leva afin d’aller à sa rencontre, mais la cohue de la piste de danse et du bar ne facilitait pas les allées et venues. Glen lui fit signe, montrant la direction du vestiaire. Jack, dont l’angoisse gagnait en intensité au fil des minutes, se demandait ce qui pouvait autant déstabiliser son ami. Arrivé sur place à force de bousculades et de frôlements, Jack allait demander à Glen la raison de son affolement, mais il eut droit pour seule réponse à se faire tirer le bras vers la sortie, d’une façon assez expéditive.
À l’air libre, Glen déclara de but en blanc : « C’est Tarja, elle est à l’hôpital dans un coma profond, entre la vie et la mort. »
Jack sentit affluer à l’intérieur de sa tête un malaise qui le fit vaciller sur place. « Que s’est-il passé ? » demanda-t-il simplement, la gorge nouée.
« Il semblerait qu’elle se soit fait agresser chez elle hier soir par un faux livreur de pizza selon la police ; des voisins l’ont entendu crier et se sont pressés d’aller regarder sur le palier. Le temps qu’ils préviennent les forces de l’ordre, l’homme s’était enfui après lui avoir projeté la tête à de multiples reprises sur le mur du couloir. Elle a la mâchoire cassée, le nez fracturé, et une sévère commotion cérébrale. Ils tentent de résorber actuellement l’hémorragie. Sans compter sa langue avec laquelle elle a manqué s’étouffer tellement elle avait gonflé du fait des coups répétés sur le visage. L’inspecteur en charge de l’enquête a parcouru son journal d’appel et n’a vu aucun coup de fil vers une pizzéria ; seul ton numéro de domicile était sur la liste, mais ton répondeur a dû se mettre en route, car il n’a duré que quelques secondes. »
Au fur et à mesure qu’il écoutait Glen, Jack devint livide et chancelant. Ainsi son mystérieux interlocuteur qui « soufflait » dans le combiné n’était pas un ado attardé ou un cinglé en quête de sensations, mais leur amie Tarja qui venait de se faire violemment agresser. Et elle avait eu la force de composer son numéro avant de sombrer dans un coma dont elle risquait de ne pas sortir. Le geste ultime qu’il n’avait pas été capable de reconnaitre. Alors qu’il réfléchissait à tout ça, il entendit le téléphone de Glen sonner. Incapable d’esquisser le moindre mouvement, il restait là, bouche entrouverte, les bras ballants, à fixer le sol. Il avait l’impression que la voix de son ami était décuplée, et surtout lugubre. Figé comme une statue, il entendit simplement Glen lui dire, la voix tremblante : « C’était l’inspecteur Lobo ; il vient d’avoir l’hôpital… »
Un court silence s’installa, alors qu’il déglutissait avec peine. Puis il reprit d’une voix qui trahissait un grand chagrin doublé d’une détresse incommensurable : « elle n’a plus d’activité cérébrale… ils vont la débrancher… »
Riff hi hi en boite
Par Jean
Le parking était grand mais Jack ne trouvait pas de place. Il maudissait intérieurement tous ces fêtards du samedi soir, ils ne savaient qu’aller en boîte de nuit pour meubler leurs mornes vies. Il se tourna vers Tarja en lui demandant pourquoi elle avait tant envie de venir ici ce soir.
─ J’ai envie de gigoter un peu, lui répondit-elle.
─ Je comprends bien, mais on aurait pu se faire une soirée tranquille, juste avec des amis.
─ Avec toi, ces soirées se terminent TOUJOURS de la même façon. Tu bois trop, tu vas t’isoler un moment et tu sens le vomi quand tu reviens.
─ Faux, Tarja. Je ne suis jamais malade, je tiens très bien l’alcool. Surtout quand c’est du Glen.
─ A propos, il va surement nous rejoindre notre ami Glen. Pas celui que tu avales sous forme liquide, n’est-ce pas ?
Jack aperçut finalement une place pour se garer, où il manœuvra rapidement avant qu’un conducteur indélicat ne la lui prenne. La femme et l’homme sortirent de la voiture et se dirigèrent vers l’entrée de la boite de nuit.
Le videur les toisa d’un air hautain puis leur signifia qu’ils ne pouvaient pas y entrer.
─ Hey, Man ! Tu vois bien que Madame est en robe de soirée et que je suis en costume. Si on avait le look jeans et basket, je comprendrais, mais là tu abuses.
─ Non, inutile d’insister. Barrez-vous !
─ Appelle le patron, c’est un pote !
La discussion prenait un tour inattendu et Jack commençait à être sérieusement agacé. Il était prêt à en venir aux mains mais l’arrivée d’un second videur encore plus costaud que le premier lui donna à réfléchir.
─ Dis-donc Marcel, tu fais du zèle ce soir ?
Jack et Tarja reconnurent immédiatement cette voix familière, Glen venait d’arriver. Il connaissait apparemment le videur et celui-ci les laissa passer en faisant un sourire de circonstance.
─ Tu vois, Marcel, la prochaine fois que tu veux faire du zèle, essaie d’être aussi impressionnant que Ben-Hur.
Glen et Tarja regardèrent leur ami avec étonnement, ils les surprendraient toujours avec ses phrases stupides qui ne voulaient rien dire.
Dans la boite de nuit, la musique jouait fort, beaucoup trop fort. Jack s’arrêta un instant, sidéré par le riff d’enfer qui retentissait à ses oreilles.
─ Écoutez bien, ça c’est de la musique, dit-il en agitant le haut de son corps sans bouger ses pieds.
─ Tu as avalé un balai ? Ironisa Tarja.
Jack prit un air bougon et suivit ses amis au fond de la salle, là où il pourrait tranquillement s’asseoir sur des sièges bas avec une petite table au milieu. Glen fit un signe au barman, réclamant ainsi qu’on lui apporte sa bouteille de Glen.
Observant les autres fêtards assis près d’eux, Tarja s’amusa à les comparer à des pots de fleurs. Elle voyait là des roses fanés, des géraniums trop rouges pour être réels. Elle fit part de ses pensées à ses deux amis qui éclatèrent de rire.
─ Regardez la fille là-bas, dit Jack en désignant une danseuse qui gigotait sur le bar.
─ Oui, et alors ? Elle est jeune, faut bien qu’elle s’amuse à sa façon !
─ Je sais, je sais ! Mais regardez, on dirait un sapin de Noël avec toutes ses paillettes !
─ Jack, tais-toi et bois un coup.
Tarja et Glen étaient en grande conversation et leur ami Jack se sentait exclu. Il en profita pour boire un verre, puis un second, avant d’entamer le troisième.
─ Tu n’es pas raisonnable, Jack. Tu vas encore te rendre malade, lui dit Tarja.
─ C’est de votre faute, je m’ennuie à essayer d’entendre ce que vous dites.
─ Tu émets des ondes négatives, répliqua instantanément Glen. Tu ne vas rien comprendre à ce qu’on dit et ensuite tu vas passer le restant de la nuit à bouder, à boire verre sur verre. Et qui va te ramener ensuite ? C’est bibi !
─ Soyez sympas ! Allez Tarja, de quoi parlez-vous ?
─ On parle de mitose, mon petit Jack. Tu sais ce que c’est ? lui demanda Tarja.
Jack se gratta la tête avec l’index de la main droite et le menton avec le majeur de la main gauche. Là, pour le coup, il était complètement dépassé. Il fit travailler ses neurones à la vitesse de l’éclair pour trouver quelque chose à répondre.
─ Évidemment ! Je sais ce que c’est. C’est un mythomane, voilà tout !
Glen et Jack éclatèrent de rire en voyant l’air de triomphe sur le visage de Jack. Celui-ci écarquilla les yeux, conscients qu’ils se moquaient de lui mais ils ne comprenaient pas pourquoi.
─ Ok ! Ok ! Ok ! Je me suis trompé ! C’est de mycose dont vous parlez. Ils doivent en avoir ceux qui sont sur la piste de danse, ils ne font que boire et transpirer.
─ Encore une mauvaise réponse, Jack. Tu manques de culture que c’en est désespérant, lui dit Tarja.
Cette fois, la coupe était pleine. Jack se leva et menaça de partir sur le champ. Glen se débrouillerait pour reconduire Tarja ensuite. A chaque fois qu’il y avait une discussion un peu sérieuse, on le prenait pour l’imbécile de service. Il avait l’impression d’être invité à un diner de cons, et il y tenait généralement la vedette. Merde, il n’avait pas fait des études poussées comme Tarja ou Glen, mais tout de même, il avait un peu de culture. Et puis après tout, son expérience de la vie valait bien toutes les années passées sur les bancs de l’école par ceux qui obtenaient un bac. Avoir le bac, ou un autre diplôme supérieur, c’était bien. Seulement, quand il fallait remplacer un fusible ou changer un joint, là il n’y avait plus personne.
─ Allez, assieds toi, Jack. On va t’expliquer ce qu’est une mitose, lui dit Glen d’une voix un peu trop mielleuse.
─ Tu sais ce qu’est la division cellulaire ? lui demanda Tarja en souriant
─ Et voilà que vous allez parlez de prison, de maton et tout le toutim. Allez, je me casse, passez une bonne soirée !
EUPHORIE
Par Anne
Soir d’été. Il fait lourd, très lourd. Qu’importe, les trois compères ont décidé de se faire une sortie exceptionnelle pour Jack : aller en boîte de nuit. Glen et Tarja ont coutume de ce genre d’endroit mais pour Jack, c’est un sacrifice que de s’y rendre ! Il peut bien faire ça pour ses deux meilleurs amis…Il s’est préparé psychologiquement à l’avance, se mêler à ce qu’il considère comme de la débauche à l’état primitif ne s’improvise pas ! Il s’est familiarisé avec l’idée des semaines et des semaines avant ladite sortie infernale. Car oui, c’est bel et bien en enfer que Jack pense aller. Des agités partout, se dandinant tels des démons pour attirer leurs proies. Telle est la vision qu’il a de la discothèque. Il s’est obligé à compulser des tonnes d’infos sur la façon de programmer un tel événement : l’attitude à adopter pour ne pas se faire remarquer, les personnes à éviter, les conduites à risque…
Le soir S approchant, Jack voulait s’isoler, ne pas voir ses amis, lesquels trouvaient son attitude plus qu’étrange, à la limite du pathologique !
- « Jack, arrête ton cinéma, on ne part pas à l’aventure Tarja et moi, on sait ce qu’on fait. Tu nous connais quand même, tu n’ignores pas qu’on ne prend jamais une décision à la légère !
- Oui…mais là…c’est risqué quoi !
- Qu’est-ce qu’on devient Jack si on ne prend pas de risques dans notre chienne de vie, hein ?? Glen te l’a dit, tout ça est mûrement réfléchi voyons, fais-nous confiance !
- Je vous ai toujours suivis mais cette fois, j’admets que c’est en me faisant sacrément violence que je vous accompagne dans ce bourbier… »
La discussion avait vite coupé court puisque Jack devenait fébrile à chaque fois que ses amis évoquaient cette vie nocturne. L’univers des paillettes tendait les bras à Glen et Tarja, ils n’allaient pas s’en priver, même s’il fallait pour ça supporter la paranoïa de Jack.
- « Mon vieux pote, je te propose de t’immerger une première fois dans l’ambiance, de façon très…soft…tu veux, ça te rassurerait ?
- Me rassurer Glen ?? Tu sais ce qui me rassurerait, c’est que vous abandonniez l’idée Tarja et toi, voilà ce qui me rassurerait vraiment !!
- Mais merde Jack, avance un peu ! Tu vas pas stagner toute ta putain de vie et camper sur tes foutues positions ! On te demande quand même pas grand-chose. Même si tu ne cautionnes pas, qu’au moins tu partages un minimum notre engouement à Tarja et moi !
- Oui oui, c’est bon…qu’est-ce que je dois faire ?
- Nous suivre, tout simplement. Je vais te guider mon pote, t’inquiète.
- Pas du tout inquiet moi, mais alors, pas du tout ! »
C’est ainsi que les trois amis se retrouvent un soir de juillet devant l’immense porte d’une boîte de nuit…
- « Glen, tu m’avais dit que c’était une immersion en douceur, ça semble gigantesque à l’intérieur ! Je me trompe ?? Me raconte-pas d’histoires hein !
- C’est…normal Jack. Ni trop grand, ni trop petit. Tu verras, on va te mettre à l’aise rapidement, pas de soucis. »
Tout juste entrés dans l’antre des plaisirs dansants, Glen, Tarja et Jack furent happés par une jeune femme affichant un décolleté plus ouvert qu’un géranium en floraison ! Les yeux de Jack s’écarquillèrent, à la fois scandalisés et troublés par cette vision. Glen ne manqua pas de le remarquer :
- « Et bien mon pote, du jamais vu ou quoi ??
- Oh…non…enfin si…mais…et arrête de te foutre de ma gueule comme ça Glen ou je dégage sur le champ !!
- Tu raterais tant de bonnes choses Jack…tu ne vas pas faire cette connerie, rassure-moi !
- Glen a raison Jacky…allez, viens, je vais te conduire dans un p’tit coin tranquille, suis-moi.
- Quoi ?? Qu’est-ce que tu dis Tarja ?? Putain, je comprends rien avec cette musique de dégénérés ! Musique…ouais, tu parles ! »
Tarja répéta alors à l’oreille de son ami ce qu’il n’avait pu entendre. Après quoi, ils partirent s’asseoir dans des banquettes chaleureuses à souhait. Glen les rejoignit quelques instants plus tard, trois verres en mains qu’il s’empressa de déposer sur une petite table.
- « T’as reconnu le rif de cette sacrée chanson au moins Jack ??
- Oui oui…ça va oh ! Tu peux me lâcher un peu ??
- C’est ça…mais fais un effort pour t’imprégner de l’ambiance mon vieux !
- Une ambiance ? T’appelles ça comme ça toi ? Tarja, dis-moi que c’est pas ça une ambiance, une vraie ??
- Ben…mon Jacky, y a ambiance et ambiance tu sais…
- Ah ouais ? Et vous, c’est ce genre là que vous comptez faire avec votre…projet ??
- Pas exactement…nous on veut du plus…
- Du plus… ??
- Glen, aide-moi bon sang ! Comment formuler ça ?...
- Ah ben c’est simple, nous on veut de la thématique, tu vois Jack ?
- Euh…non !
- Pas grave, tu comprendras quand on ouvrira la boîte. Tu vas être surpris mon pote !
- Oui, ça j’en doute pas ! Mais agréablement, c’est là que j’suis plus inquiet tu vois ! »
La nuit se profilait. Les heures défilèrent sans que Jack ne bougeât de son coin. Ses deux amis désespéraient. D’autant plus qu’ils auraient tellement voulu que leur pote montrât un semblant d’intérêt à ce qui allait devenir leur gagne pain. L’ouverture d’une discothèque dont Tarja et Glen allaient être les grands patrons ! C’était un rêve de gosse qu’ils avaient toujours eu en commun. L’occasion s’étant présentée, ils avaient réalisé leur rêve. Tout était prêt pour l’inauguration de leur boîte à bonheur. Sauf un détail primordial à leurs yeux : le partage de leur joie avec Jack.
Lorsque le grand soir arriva, Glen était allé chercher Jack chez lui pour se rendre ensuite à l’Euphoria…
- « Sérieux Glen, c’est quoi ce nom de chiotte que vous avez choisi ??
- C’est très évocateur, c’est tout…et puis ça sonne bien, dis pas le contraire !
- Et c’est censé évoquer l’euphorie de qui, de quoi ??
- Tu demanderas à Tarja, c’est elle qui a eu l’idée.
- Et tu as suivi sans te poser plus de questions bien entendu ! Je te reconnais plus mon Glen hein…depuis quand tu laisses une nana décider à ta place ??
- Tarja n’est pas une nana, c’est ma meilleure amie, pas pareil !
- J’ai compris ! Je pensais que peut-être vous aviez fricoté un peu ensemble…mais non, c’est pas ça !
- Qu’est-ce que tu racontes ? Tu délires ??
- Nan nan, au contraire, c’est très scientifique comme processus…j’aurais dû y penser !
- ????
- Tu as subi une mitose du cerveau, c’est ça hein ?
- Quoi ??? Une quoi ??
- Y a eu une sorte de…métamorphose en fait…la cellule mère qui régnait en maîtresse sur ton cerveau s’est coupée en deux pour faire naître deux cellules filles et du coup, tu as adopté un comportement typiquement féminin ! Voilà pourquoi tu acceptes sans rechigner tout ce que te propose Tarja, c’est comme…ton double !
- T’as de la fièvre Jack ? T’as abusé du Glen ??
- Ah non, jamais je n’abuserai de toi mon ami ! »
Et Jack de s’élancer dans un fou rire ultra nerveux, presque convulsif. Inquiet, Glen saisit son portable pour parler à Tarja. Mais cette dernière étant déjà à l’Euphoria, elle n’entendit pas le téléphone sonner. Tandis que Jack pleurait de rire, son meilleur pote prit une décision radicale : l’hôpital, voir un médecin, un spécialiste, c’était le seul recours pour sauver son ami. Il embarqua Jack dans sa berline, le laissant croire qu’ils se rendaient à la discothèque. Quelques petits kilomètres plus tard, un urgentiste accompagné d’un psychiatre diagnostiqua très vite un délire de frustration.
- « C’est quoi ce truc docteur ??
- Votre ami est phobique. Il a une peur violente de tout ce qui pourrait nuire à son intégrité morale. Il s’encaserne dans ses croyances et se frustre sans même s’en rendre compte, pensant, au contraire, qu’il est dans le vrai. C’est ce qui le conduit au genre de trouble comportemental dont vous avez été témoin…
- En clair ?
- Nous allons le garder en observation déjà, ensuite, nous aviserons. »
L’euphorie céda sans sourciller sa place à l’angoisse dans l’esprit de Glen…
Mise en boite :
Par Christine
Le bâtiment avait l’allure d’une hacienda. C’était même placardé sur le mur principal en grosses lettres gothico-mauresques :« l’Hacienda », au cas où on aurait eu des doutes avant de prendre la fuite.
Une hacienda king size qui avait remplacé le soleil d’Andalousie par des tubes au néon, king size eux aussi.
— Jack, rassure-moi ! Moi qui pensais que tu voulais me montrer ta maison de vacances… C’est tout de même pas ÇA la fameuse hacienda où tu voulais m’emmener, hein ?
- Mais si, Tarja ! Chouette, non ? C’est la boite de nuit branchée du coin.
- Ah ça, pour être branchée, elle est branchée… Doit y avoir au moins 14 milliards de Watts qui clignotent sur la façade. C’est d’un chic… Pince-moi, je rêve ! … Aïeheuuu ! Mais tu fais mal !
- Tu me dis de pincer, je pince. Bon, arrête de critiquer. On y va ? Glen doit nous attendre à l’intérieur. Si tu veux te défouler, tu te défouleras sur la piste de dance.
Tarja sortit de la voiture, suivie par Jack. Tous deux empruntèrent le petit bout de chemin gravillonné menant à l’entrée de la discothèque. Le physionomiste, king size également, les détailla de haut en bas sans broncher. Puis épuisé par cet effort il retourna à la contemplation d’un point perdu dans un horizon très lointain et très vague. On pouvait supposer que c’était un laissez-passer et qu’il préférait consacrer son énergie à tenter désespérément de convaincre son unique neurone de réussir une mitose.
Poussant la porte lourde de ferronneries simili andalouses Jack et Tarja furent percutés de plein fouet par le bruit qui s’échappait de l’intérieur. L’orchestre compensait son manque de talent en misant sur les décibels et le bassiste, poussant les riffs dans leurs derniers retranchements, transformait « Smoke on the water » en « Tsunami et terreur ».
- ….
- Quoi ? Parle plus fort, j’entends rien !
- ….
- ??? QUOI ?
Tarja saisit le bras de Jack et l’entraîna vers le côté gauche de la salle, légèrement épargné par la tornade d’ondes sonores.
— Je te disais que Glen était là-bas, fit-elle en montrant une silhouette qui fendait la foule pour se diriger vers eux.
Jack regarda dans la direction indiquée et leva ses bras en les agitant. Il ne fallut pas plus de quelques secondes à Glen (ainsi que quelques pieds définitivement hors d’usage, quelques côtes brisées et de nombreux danseurs KO) pour les rejoindre.
- Et ben… c’est pas trop tôt ! Je commençais à m’impatienter, moi… leur dit-il.
- Dis donc, Glen, tu n’as pas trouvé plus calme comme endroit pour un rendez-vous ? C’est pas pour critiquer, hein… Mais mes oreilles, j’y tiens ! Elles peuvent encore servir un peu !
- Tarja, tu es d’une mauvaise foi… C’est un peu fort, mais ça va. Hein, Jack ? t’es d’accord ?
- Heu ? Bahhh… moi je m’en fiche du moment qu’il y a des nanas et de la bière. J’ai repéré une petite, là, à l’entrée, qui m’a l’air toute seulette et toute tristoune. J’ai bien envie d’aller lui remonter le moral
- Ah non ! Ne me laissez pas toute seule, les gars ! La dernière fois, je me suis coltinée un gros lourdaud toute la soirée. Merci du cadeau ! Pas moyen de m’en dépêtrer.
- Ben, c’est pas de notre faute si t’es mignonne tout de même ! répondit Glen. Et moi, je ne dois pas être trop mal non plus : vous voyez la brunette qui est en train de sortir ?
- Oui ? Celle qui a un tee-shirt à paillettes ? La brune ? fit Jack, qui avait l’air de trouver la jeune fille tout à fait à son goût.
- Oui, bon.. Pas touche ! Chasse gardée mon pote ! Elle est vachement mignonne, même si elle m’a un peu bassiné avec ses grands discours altermondialistes et tutti chianti…Ouaip, vachement mignonne.
- Glen ? Il y a plein de minettes qui sont là à te dévorer des yeux, et toi, tu causes altermondialisme ?
- Voui… Bon, c’est vrai, elle était très soûlante, en fait. Mais quand on te parle lutte des classes et décroissance avec de tels yeux… Et en sentant aussi bon…. Un vrai bouquet de géraniums et de vanille, cette fille.
Jack et Tarja firent la moue en écoutant Glen. Jack allait répondre lorsque Glen enchaîna :
- Et c’est pas tout ! J’ai un rencard et je vais aller la retrouver dehors
- Quoi ? Tarja écarquilla les yeux. Tu nous laisses tomber ? On vient à peine d’arriver.
- Ben, j’y suis pour rien si vous avez mis 3 heures pour venir !
- Glen, moi, je suis de ton côté, dit Jack en lui tapant dans le dos. Solidarité masculine ! allez, va, va chercher bonheur sur le parking !
- Yes Man ! Et puis zieute un peu : elle m’a laissé la télécommande de sa voiture ! Je clique, ça clignote, ça fait « Bip Bip » et qui il y aura à côté du carrosse et qui est déjà en train de m’attendre ? Hummmm ?
- Alors, là… Fonce, mon gars ! Et que le grand Casanova soit avec toi !
Jack éclata de rire, se retourna vers Tarja et lui proposa de prendre un verre au bar tandis que Glen se dirigeait vers la sortie, la précieuse télécommande en main.
Une fois à l’extérieur, le calme soudain lui fit prendre conscience que ses oreilles auraient beaucoup de mal à se remettre de tant d’émotions fortes. Ca sifflait, ça acouphénait, ça protestait vigoureusement. Il attendit quelques secondes, puis se dit que là n’était pas la priorité du moment.
Il regarda la télécommande, sourit, et appuya.
Sa dernière vision fut celle d’une immense boule de feu.
Dernier communiqué de l’agence France Presse : On en sait désormais un peu plus sur l’attentat qui, la nuit dernière, a détruit la discothèque « l’Hacienda », faisant plus d’une centaine de victimes et des centaines de blessés dont certains sont dans un état critique. La police scientifique est sur la piste d’un détonateur contenu dans une télécommande. Le coupable présumé, Glen X, fait partie des victimes. Aucune revendication pour l’instant mais des tracts d’un groupuscule antigouvernemental inconnu ont été retrouvés sur le parking.